F.A.Q.


Foire aux questions
 

Ce document est une tentative de synthèse d’une expérience en train de se faire et de se construire. Il s’agit d’évoquer les tenants et les aboutissants de celle-ci dans tous les domaines (social, politique, économique ….). Nous espérons ardemment que notre initiative servira d’inspiration à d’autres, à tous ceux qui croient à l’autogestion et à la remise en cause de la structuration du monde du travail.

1. Comment définiriez-vous Talking Hands ?


Talking Hands est un laboratoire de design et d'innovation sociale. Né en 2016, il encourage les réfugiés, à travers la création, à se saisir de leurs origines afin de relater leur histoire personnelle, leurs origines, leurs rêves mais aussi les pérégrinations qui les ont conduits d’un continent à un autre. L’inclusion sociale se situe au cœur du projet. Les participants apprennent ainsi de nouveaux métiers, acquièrent des compétences transversales qu’ils pourront mobiliser à l’envi dans leur parcours professionnel futur. Au cours de leur formation, ils sont en outre amenés à travailler avec des designers reconnus et influents, expérience qui se révèle tout à fait enrichissante et stimulante pour leur fibre créatrice. De ce faisceau de rencontres naît un ensemble d’objets proposés à la vente mais aussi nombre d’activités solidaires auquel nous prenons une part active au sein d’un réseau associatif riche et varié.

2. Quelles sont les origines du projet Talking Hands ?


Durant les premières années, Talking Hands s’est surtout construit autour et en fonction des besoins qui émergeaient quotidiennement au sein de notre structure. Nous étions persuadés que nous pouvions réduire le nombre de personnes en difficulté par le biais de l’inclusion sociale et un processus d’autonomisation. Dans un premier temps, les bénéficiaires c'était majoritairement de demandeurs d’asile hébergés dans des centres d'accueil extraordinaire. Aujourd’hui, la situation a changé et la plupart des personnes présentes à l’atelier sont exclues du programme de protection internationale, en raison de l’expiration du terme en vigueur dans le cadre de la législation sur le droit d’asile, ou pour avoir obtenu le statut de réfugié ou encore la protection humanitaire. 
Avec le temps, le design et la communication visuelle se sont imposés comme des vecteurs privilégiés pour le partage des connaissances, les échanges entre les différents acteurs et la construction d’un parcours de formation efficace. 
Nous nous sommes toutefois rendus compte que ces domaines devaient être soutenus et compétés par des actions plus spécifiquement axées sur les besoins des participants et nous avons ainsi dû trouver des solutions à des problèmes aussi concrets que les pénuries alimentaires, l’accès à l’éducation, la couverture santé, l’assistance et le soutien juridique. Peu à peu, le design est devenu un outil pour la création de réseaux de solidarité territoriale où le dialogue et la collaboration entre une pluralité d'acteurs engagés dans le domaine de l'accueil tend à garantir l'égalité des droits et la dignité des différents participants.
 

3. Qui sont les bénéficiaires des actions de Talking Hands et dans quel contexte général émerge ce projet ?


Talking Hands est né en 2016, en écho à la crise migratoire sans précédent que connaît l’Europe depuis 2010. Même dans un petit centre urbain comme celui de Trévise, où vivent 85 000 âmes, ce ne sont pas moins de 2.000 nouveaux citoyens qui se sont installés, la plupart d'entre eux étant logée dans un centre d’accueil ouvert à la hâte dans l'ancienne caserne. Ces individus ont majoritairement entre 19 et 28 ans et proviennent de l’Afrique subsaharienne (Nigéria, Sénégal, Gambie, Guinée Bissau, Guinée Conakri, Ghana). D’autres émigrent du Tchad, de l’Asie centrale, ou encore du Pakistan, de l'Afghanistan ou du Bangladesh. Malgré la baisse des débarquements à la suite des accords de 2017 entre l'Italie et la Libye - plus de 600 000 entre 2014 et 2017, 23 000 en 2018-, la situation des centres d'accueil italiens reste critique. Le nombre de personnes acceptées a progressivement diminué, passant de 180 000 à la fin de 2017 à un peu plus de 100 000 en août 2019, alors même que les modifications réglementaires de 2018 (Décrets de sécurité 1 et 2) ont rendu plus difficile l'accès au site et compliqué le système de gestions des centres.
Entre temps, les problèmes historiques du système d'accueil italien n'ont pas été résolus:  délais d'attente extrêmement long (pas moins de deux ans en moyenne), faible participation des municipalités au système SPRAR et recours plus systématique et massif aux structures d'urgence. Dans ce contexte, ces dernières ne peuvent pas développer les programmes d’intégration nécessaire.
Cette situation engendre nombre de problèmes. Il existe ainsi beaucoup moins de contrôles sur la gestion et sur la qualité des services offerts (et donc sur le reporting des dépenses).  On déplore également une augmentation des conflits avec la population résidente et entre les réfugiés eux-mêmes, et surtout une insuffisance flagrante dans le domaine de l’intégration. Dans ces conditions, les demandeurs d’asile n’ont pas l’opportunité d’apprendre la langue ni de développer des compétences utiles à leur avenir: ce qui explique, même en cas de reconnaissance du statut de réfugié par les institutions officielles, la forte exposition à des situations marginales.

4. D’où provient le terme « Talking Hands »? Que signifie « Talking Hands »?


Nous souhaitions parler grâce à nos mains pour envoyer un message : «Si vous considérez que votre vie a perdu son sens, que vous n’avez plus rien, même pas un titre de citoyenneté, vous pouvez tout de même reprendre le contrôle de votre destin». Il existe toujours un éventail de possibilités et de richesses si grand qu’il est impossible de le quantifier. Celui-ci trouve son origine dans votre Histoire, votre expérience de vie et son expression dans votre manière de voir et d’appréhender le monde, notre sensibilité propre … et plus certainement dans l’usage que vous faites de vos mains.
 

5. Quels sont les différents acteurs de Talking Hands ?


Qu’ils soient designers, demandeurs d’asile, réfugiés, photographes, enseignants, journalistes, retraités ou volontaires, tous, au sein des différents ateliers, concourent à la réussite de Talking Hands. 
Il nous paraissait essentiel que le groupe de travail soit accompagné de professionnels puisque nous souhaitions opérer selon un large spectre, à mi-chemin entre formation professionnelle et activité de laboratoire afin de permettre aux réfugiés de mettre en œuvre leurs propres compétences. Il fallait également tenter de sortir de l'exotisme, de cette idée d'un artisanat ethnique qui caractérise encore aujourd'hui de nombreux produits distribués au sein de la chaîne du commerce équitable. Il ne correspond en rien à la réalité. Car cette réalité est forgée véritablement par l’imaginaire romantique que nous nous faisons des pays de l'hémisphère sud dont nous ne connaissons finalement que très peu de choses. Malgré le développement exceptionnel des médias, cette situation reste largement répandue dans le monde occidental. 
Aussi nous paraissait-il crucial de créer des opportunités de dialogue horizontal et un travail interculturel, de valoriser tous les acteurs impliqués dans le projet et de réenchanter le monde matériel à travers la synthèse des arts appliqués. 
 

6. Pourriez-vous nous décrire la vie de la communauté Talking Hands ?


Chaque projet est organisé au sein d’une petite chaîne de production qui cherche à impliquer le plus grand nombre de personnes - chacune disposant d’un nombre d’expériences et de compétences variées - afin de soutenir la progression dans différents domaines disciplinaires. Si je prends l’exemple concret de la réalisation de l’un de nos objets en bois, interviennent, sur le chantier : 
- le charpentier spécialisé, capable de couper les éléments constructifs en toute sécurité
- une personne qui assemble les éléments
- une autre qui s’occupe de la finition et du ponçage tandis qu’une dernière s’occupera des interventions graphique plus spécifiques, celles-ci caractérisant nos collections depuis le début.
Et c’est l’ensemble de ces activités et de ces participants qui contribuent à la bonne réalisation des produits. 
Nous pensons qu'un aspect intéressant pour un designer qui travaillerait avec Talking Hands actuellement, c’est la connaissance des sujets présents dans l'atelier. Les participants changent constamment et, par conséquent, l'expérience biographique et les compétences exploités par le groupe de travail également. 
 

7. Dans votre projet, comment la philosophie du design entre-t-elle en résonnance avec le tissu social local ? Comment le projet s’imprègne-t-il de la philosophie du design?


C’est que l’approche du produit ne se limite pas à sa phase de conception, bien au contraire. L’objet doit devenir un outil de conception et de création de réseaux relationnels favorisant la naissance de communautés, d’interaction avec le territoire, en particulier avec le tissu entrepreneurial local. Nous tendons vers un modèle participatif, collaboratif qui dépasse la « forme » afin de s’exposer, prendre position et placer l’individu au centre de son action quotidienne. Fort de cette expérience, nous collaborons par exemple avec la filature de laine Paoletti qui s’affirme comme un centre actif dans la circulation et l'expérimentation d'idées à fort contenu de recherche, depuis l'étude exclusive des tissages et des couleurs jusqu’à la réalisation de procédures associant l’industrie et la haute technologie textile.
Nous avons également adhéré à toutes les expériences politiques les plus importantes en vue de créer un front commun contre le sentiment croissant d’hostilité et de racisme qui croissent actuellement dans la population et le monde politique à l’égard des migrants. Nous collaborons ainsi avec Auser - Citizens of the World en garantissant deux cours d’italien gratuits par semaine dans les différents ateliers. Nous pouvons aussi compter sur un réseau étendu d'avocats afin d’offrir aux réfugiés un soutien d’orientation juridique, tel le comptoir de l'ADL Cobas Treviso. Enfin, lors des mois d'hiver, nous avons lancé un "Appel à la nourriture" afin de pouvoir créer un "comptoir alimentaire" et tenter d’obtenir des repas chauds pour tout le monde.
 

8. Sur quel modèle économique repose Talking Hands ? 


Pour le moment, les seuls bénéficiaires du projet sont les réfugiés : 50% des bénéfices vont aux garçons qui participent aux différentes activités d’atelier et les 50% restants sont placés dans un pot commun qui est utilisé pour acheter le matériel de création, pour les transferts, l'achat de denrées alimentaires mais aussi pour faire face aux nombreuses urgences quotidiennes, depuis l'achat de médicaments jusqu’à la garantie des frais judiciaires pour les pourvois en cassation. Dans certains cas exceptionnels, le fonds sert aussi à envoyer une petite aide aux familles en difficulté dans les pays d'origine. Toutefois, nous sommes conscients de la nécessité de dépasser ce schéma afin de mettre en place un modèle économique capable de garantir au moins le remboursement des frais, y compris aux professionnels qui travaillent avec nous. À long terme, il n’est pas viable ni souhaitable de demander aux concepteurs et professionnels de s'impliquer uniquement sur la base du volontariat.
 

9. Ce modèle économique va-t-il être amené à évoluer ?


Un des défis majeurs aujourd’hui pour Talking Hands consiste à penser et à planifier, sans garantie de réussite toutefois, de nouveaux modèles de travail communautaire qui intègre des formes de micro-revenus. C’est d’autant plus difficile qu’il n’existe pas d’antécédents ou de correspondances juridiques ou administratives pour ce type d’expériences. D’ailleurs, si elles existaient, leur nature expérimentale échouerait.
Je pense qu'il est nécessaire de songer à des rémunérations particulières pour ceux qui se mobilisent pour la création de liens sociaux dans leurs villes. Ils jouent en effet un rôle fondamental pour la cohésion sociale: création de de solidarité entre les habitants, fonctions diverses pour le service public, etc. Lorsque des situations de crise surviennent - pas uniquement dans le sens économique -, nous réalisons que nous pouvons résister à l'onde de choc uniquement si nous sommes en mesure de reconstruire le lien social altéré par les événements. Cela est rendu possible par le dialogue, le vivre ensemble et la solidarité. C’est pourquoi le thème central du droit à l’expérimentation et à la création d’appareils capables d’accompagner ces expériences d’un point de vue économique et administratif est en train d’évaluer la possibilité d’adopter un nouveau statut juridique afin de garantir aux participants une documentation complémentaire et utile à la demande d'asile.
 

10. Quelles sont les activités développées au sein de Talking Hands ?


En ce moment, sont actifs : l'atelier de mode, le laboratoire de conception de produits, l'école italienne et une équipe juridique dédiée à l’aide des réfugiés. Ces derniers accompagnent les bénéficiaires dans les différentes démarches à entreprendre, que ce soit au moment du jugement ou du recours en cassation si besoin est.

11. En quoi le projet fait-il écho à la politique actuelle?


Talking Hands est né dans un espace social. Aux côtés d’autres membres militants issus du domaine associatif, de collectifs politiques ou de groupes informels, nous avons pris une part active dans l’occupation d’un bâtiment abandonné depuis des décennies - la caserne de Trévise - afin de redéfinir son usage et le transformer en un centre de services innovants. La récupération de ce bien public a démultiplié les échanges et les liens entre art, activisme politique et inclusion sociale ; ces actions s’inscrivent dans une volonté de refonte du tissu urbain et de rééquilibrage de ses fonctions sociales. L'action participative nous a confortés dans nos convictions que la réalisation d’un objectif commun développe le potentiel des individus investis dans la cause.
Le processus de re-signification de la zone de l’ancienne caserne Piave a donc non seulement contribué à la création d’une éthique collective mais aussi au lancement d’une expérimentation basée sur des modèles participatifs et de démocratie ascendante.
Talking Hands est né de cette constellations de désirs et en particulier du désir d’unir différents domaines d’intervention capables, chacun à leur manière, de créer un dialogue vers l’intérieur et l’extérieur. Nous avons ainsi participé à toutes les grandes mobilisations italiennes ces dernières années et activement travaillé en réseau et sans préjugés idéologiques avec d'autres personnes engagées dans l'accueil et l'inclusion sociale. De ces différentes actions est né le projet « Side by Side », plate-forme politique qui rassemble des organismes et des acteurs très différents, depuis les centres sociaux jusqu’aux unions autonomes de base en passant par une galaxie d'associations et de volontaires afin de construire un front commun capable de s'opposer à toutes formes de discrimination sociale, de classe et de genre.
 
 

12. Dans votre discours récurrent terme mixité, melting, métissage, expliquez comment ce concept est présent dans votre collection.

 


Nous pensons qu'il est nécessaire et urgent de repenser la culture en tant qu'espace de dialogue et de rencontres. Comme le notait Michel Serres en 1974, « la culture n'est pas un bloc homogène et immuable, mais un organisme vivant qui, depuis le début de l'histoire humaine, interagit avec son environnement et entre en contact avec d'autres cultures ». 
C'est pourquoi il nous a semblé impossible de créer de la culture sans chercher à établir une relation entre sa propre expérience et celle des autres. La perspective multiculturelle s’accompagne en outre d’un risque de sclérose d’où prédomine alors une forme de staticité inébranlable. En définitive, la culture ne saurait être considérée comme la somme de modes de vie particuliers, régulés par des mécanismes de coexistence entre différentes ethnies, cultures et religions, sans qu’il puisse être envisagé de créer un espace « inter »-culturel. 
Dans un monde où le système économique mondial favorise les échanges de biens et de personnes et où le système d'information de masse nous permet de nous informer sur ce qui se déroule en continu hors de nos frontières, nous estimons qu’il est primordial de favoriser la mixité culturelle, de manière à éliminer les anciens contextes biologiques dominés par la peur des rencontres métisses. 
Nous pensons que nos différences incarnent autant de manière d’être au monde tout en démontrant notre appartenance à une seule et même communauté humaine et qu’il est, de ce fait, important de créer, au niveau politique, des espaces dans lesquels peuvent se dérouler ce que Seyla Benhabib définit comme des « interactions démocratiques ». Ce terme qualifie l’ensemble des processus à travers lesquels les identités individuelles et collectives rendent les différences entre les uns et les autres - le "nous" et le "vous" - fluides et négociables, remettant, par la même, en question, tout en les actualisant, les principes d'inclusion. Talking Hands s'inscrit dans ce sillage en renforçant l’idée que la démocratie est toujours une forme en construction. 
Sans certitude toutefois de parvenir à percer le secret d’un dialogue transparent entre les peuples ou de l'avoir résolu, notre entité essaie de donner des réponses constructives qui prennent en compte les besoins et les sensibilités des participants.
 

 

 

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Notre philosophie trouve son origine dans des espaces de la démocratie où le design répond aux besoins réels des participants.

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